Je ne suis pas un membre de Boko Haram

28 mai 2014

Je ne suis pas un membre de Boko Haram

congrès eucharistique du centenaire à Bamenda
Congrès eucharistique du centenaire à Bamenda

C’est vrai je vis à Bamenda, une ville proche du Nigeria à la frontière, mais aussi par le nombre important de la population de ce pays qui vit ici, c’est vrai aussi qu’avec tout ce monde on n’arrive plus à distinguer qui est qui. Oui vous pouvez dire que nous sommes aussi Nigérians, car colonisés pas leurs musiques, artistes, films et même Emmanuel TV. Il est aussi vrai que dans la population bororo qui s’est installée ici, il y a des noms musulmans semblables au mien. C’est d’ailleurs aussi vrai que je rêve parfois de faire partie de ce genre de groupe quand je constate toute la souffrance qu’il y a dans le quotidien des Camerounais. Mais bon, l’expression « Cameroun, pays de paix » me rend encore fière et j’abandonne cette idée.

Je ne comprends toujours pas pourquoi dans tous les conflits il faut violer, enlever, intimider les femmes. Oui toujours nous, le « sexe faible ». Pour atteindre un homme, on passe par sa femme et quand cela ne suffit pas on enlève aussi les enfants. Deux cents jeunes filles enlevées, comme ça. On dirait 200 bonbons ou biscuits qu’un individu pourrait soutirer et mettre dans sa poche, sa mallette ou que sais-je encore. Vous ne pouvez pas me dire qu’un groupe de 200 personnes peut disparaître ainsi ni vu ni connu, c’est quand même étrange. Si le pape François, Michelle Obama et de nombreuses stars ont tenu à prendre part à l’initiative « Bring back our Girls », il n’en demeure pas moins que ces jeunes filles ne sont toujours pas rentrées chez elles.

La phobie Boko Haram, je le pensais, n’existait qu’à Yaoundé, Bertoua et dans le Nord. Les évènements de ces derniers jours me font de plus en plus réaliser que cela va bien au-delà de ces trois régions que je viens de citer. Loin des blagues que j’entends au quotidien dans les marchés, les taxis et même dans la rue du genre « avec ta barbe comme les gens de Boko Haram là », ou « tes yeux là sont suspects je ne sais pas pourquoi la police cherche les gens de Boko Haram alors que tu leur ressembles ». Boko Haram nous pourrit la vie, et dire que ce chef pour enfoncer le couteau dans la plaie à créer une nouvelle série à la Jack Bauer où il enregistre les épisodes et les distribue un peu partout, c’est révoltant !

l'une des statue du Centenaire de l'évangélisation à Bamenda
L’une des statues du Centenaire de l’évangélisation à Bamenda

Bamenda est en pleine célébration du centenaire de l’évangélisation de l’archidiocèse, de 1913 à 2013, cela fait exactement 100 ans que les populations de la région du Nord-Ouest ont reçu la « Bonne nouvelle ». Au sein de l’Eglise catholique je vous laisse imaginer ce que cela comporte comme déploiement et organisation de la part de toutes les autorités du coin. Tout allait bien et je me disais bénie de célébrer ces 100 ans, j’aurais enfin l’occasion de voir une personnalité de Rome et pourquoi pas le pape (le rêve est permis et même que dans nos rêves on peut faire ce qu’on veut). Heureuse d’interviewer tel ou tel cardinal, telle ou telle Eminence, tel ou tel Monseigneur, autant de grâce à recevoir seulement en une semaine. La célébration du centenaire a commencé le 25 mai dernier et la grande cérémonie de clôture se déroulera le 29 mai, jour de la fête de l’Ascension.

Nous aurons la crème des invités en ce qui concerne l’Eglise catholique (j’aurais souhaité vous donner le nom de ces personnalités, mais si un membre de Boko Haram me lit, leurs vies sont en danger). Il a fallu que ce groupe s’invite dans notre pays pour que le tourisme baisse, pour que le Cameroun devienne une destination à risque dans les ambassades. Il a fallu que ce groupe pense à enlever les Chinois, nos compatriotes, trois religieux, 200 jeunes filles, il a fallu il a fallu …

On ne sait toujours pas où se trouvent les trois religieux et même le Saint- Père a dû nous écrire pour dire qu’il espérait un dénouement heureux et rapide de cette situation. Pauvres religieux chrétiens au milieu d’un groupe musulman ? Je pense que dans cette situation Dieu qu’il soit Allah dans un camp et Dieu dans l’autre, est sans doute le seul qui sait comment finira cette histoire. Mon rêve a été brisé et après le briefing avec les journalistes et bien il n’y aura plus d’interviews de ces personnalités, plus de photos, plus de mouvements brusques et bizarres. Tout est désormais une affaire d’Etat et les instructions sont strictes « une fois que nous serons à la cathédrale pour la cérémonie de clôture, les aller et retour cesseront ». On ne sait pas qui est qui et en plus si l’on nous accorde des interviews comment être sûr qu’un membre de Boko Haram ne s’infiltrera pas et pourrait au lieu d’un dictaphone ou d’une caméra, faire exploser une bombe ? On verra ces personnalités mais de loin.

Réunion de briefiing avec les journalistes de la région du Nord-ouest
Réunion de briefiing avec les journalistes de la région du Nord-Ouest

Il faudra tout revoir à cause de Boko Haram. Pas de chance je ne recevrais pas de bénédiction, pas de photos avec des stars de l’Eglise catholique. Quand j’imagine le dispositif sécuritaire qui est mis en place avec aux commandes le Bataillon d’Intervention rapide (BIR) de la ville, je sais que l’atmosphère sera tendue. Et même pour aller aux toilettes, faudra faire un examen personnel de conscience et se demander « devrais-je me lever au risque d’être fouillé, escorté et surveillé ? ».  Je ne suis pourtant pas membre de Boko Haram, mais tout simplement journaliste.

 

 

 

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Commentaires

Josiane Kouagheu
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Non Salma, tu n'es pas Boko Haram. Tu ne peux pas capturer des innocents, tuer comme eux. En parcourant ton billet, je comprends tes inquiétudes. Mais, je me dis que le gouvernement a intérêt à revoir sa population. A regarder en face cette pauvrété, ce chômage, manque d'eau et d'électricité. Il faut tout revoir. Mais, ne t'en fait pas. Avec le climat actuel, le centenaire se fêtera sous haute surveillance!