Ici l’humiliation, là-bas l’éducation
J’ai fait la découverte de divers coins de Dakar « Patte d’oie », « la Place de l’indépendance », « parcelles assainies », « Yoff », « HML », « Baobab », « Sacrée cœur », « Ouakam », « Liberté », « Pikine », « Al-mady », etc ….le tourisme est un bon exercice pour les yeux j’avoue.
Tous les jours pour déjeuner, nous nous rendons au restaurant de l’université de l’Ucad (Université Cheik Anta Diop). À 12H 30 quand nous prenons la pause, après quatre heures de formation le matin, nous sommes assez affamés et le chemin qui nous y mène n’est pas la porte d’à côté. C’est aussi bien car nous faisons la causette et découvrons des nouveaux mondoblogueurs avec qui ont n’a pas eu l’occasion d’échanger les jours précédents. C’est agréable de savoir que l’on est lu en Guadeloupe, en Ukraine, au Mali, en Guinée, en Allemagne et que nous avons enfin réussi à mettre des visages devant chaque blog.
C’est sans doute parce que je suis parfois affamée que je n’ai pas pris la peine de remarquer que le grand bâtiment que nous traversons tous les jours est une université. L’université de Dakar avec de nombreux étudiants devant le portail qui bavardent. Ils parlent des cours, des professeurs, Wolof, français et sont si fiers de se retrouver là : le temple du savoir. L’université est pour les étudiants, l’espoir d’avoir un emploi stable et de « réussir dans la vie » me dit Ameth, un étudiant. J’ai pu faire un tour au campus et regarder comment se comportent les étudiants. C’est quand même inexplicable la dualité de la vie. Le mal et le bien, le gentil et le méchant, l’acteur et le chef bandit, l’élève et l’analphabète.
Oui parce qu’à l’opposé de ceux qui sont venus recevoir le savoir dans cette université, derrière la cuisine de cette institution, s’est crée une autre vie. Environ 100 personnes ou plus sont adossées sur les grilles de la cuisine ou sur le mur de la maison d’en face. Ils regardent dans la même direction : la cuisine. Certains ont des bassines, d’autres des bidons dont la partie supérieure a été enlevées pour servir de récipients. Je vois des femmes seules, des femmes avec des enfants et des bébés attachés au dos, des hommes, des garçons, bref tout.
Tous ces récipients sont collectés à travers les grilles du portail et déposés à même le sol et quand l’un des employés sort avec une marmite et se met à les remplir de riz, toutes ces personnes calmes deviennent très agitées. Ils parlent wolof, je ne comprends rien. Seuls les gestes me permettent de voir qu’ils montrent leur récipient et demande à l’employé de ne pas l’oublier et de le remplir. Ceux qui étaient adossés sur le mur se sont levés et rapprochés ce qui crée des bousculades et un brouhaha.
Quand c’est servi, ils ne veulent plus attendre et essayent même de faire passer leur tête à travers les barreaux. En voyant cela je dirais que « ventre affamé n’a point de raison »comment peuvent-ils espérer franchir ces barreaux ainsi ?quand la nourriture leur parvient, pas besoin de chichi, ils plongent les mains dans les récipients et adieu la cuillère et autres couverts de luxe, ils n’ont qu’un but : manger.
En fouillant, j’ai appris que ce sont les restes de repas des étudiants qui mangent au restaurant de l’université qui leur est servi. Les chefs de familles apportent ces récipients à la même heure chaque jour et une fois qu’ils sont pleins, ils mangent d’abord avant de ramener une quantité à leur famille pour ceux qui en ont. S’ils vivent seuls, cette quantité leur servira de repas du soir et même du lendemain matin. Ces abonnés des restes de nourriture viennent là depuis l’ouverture de l’université. Ce sont des pères de familles, des jeunes sans emploi, des vieux sans pension. La plupart viennent des campagnes et ont laissé derrière eux des familles qui comptent sur eux et vu qu’ils sont seuls à Dakar « je n’ai pas honte de manger ça, la vie est difficile, cela me permet d’économiser pour envoyer un peu d’argent à ma famille. Je suis loin d’eux et ils ne le savent pas ». C’est Cissé, un homme âgé de 61 ans qui m’en fait la confidence.
Je n’arrive pas à m’expliquer ce contraste, sur un même lieu des jeunes pleins d’espoir qui vont à l’école et se voient cadre, ministre, docteur mais jamais comme ceux qui sont assis là. Et oui assis là, derrière leur université, des personnes qui n’ont plus d’espoir et c’est à peine s’ils se souviennent qu’ils ont occupé les bancs d’une institution académique un jour et qu’ils avaient eux aussi, les mêmes rêves. La vie en a décidé autrement, je quitte ce lieu vite fait, ils ne veulent pas que je prenne une photo d’eux.
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