La justice peaupulaire
Vendredi 23 novembre en me rendant au centre ville, j’emprunte un taxi et durant mon trajet et je remarque un attroupement au lieu dit « below Foncha ». En le voyant, je pense à un accident vu qu’il y a tellement de motos garées. Mais le taximan ralentit et je m’aperçois que c’est un bandit qui fait l’objet de tant d’attraction. Il est sale, sa peau qui en premier a reçu les tatouages a finalement cédé pour donner des plaies saignantes où les mouches se régalent et pondent. On peut aussi remarquer des bosses sur son visage. Apparemment pour un peu d’humanité, on lui a laissé garder son caleçon. Des hommes se sont installés le long du trottoir et on lui a demandé de marcher. À son passage chacun lui tape et lance ce qu’il veut. L’un d’eux qui visiblement n’est pas satisfait lui court après avec une planche et vient l’émietter sur sa tête et son torse. Dans le taxi, un des passager s’exprime « il aura chaud aujourd’hui, il faut qu’il prie pour qu’un policier passe par là sinon il peut mourir là ». Un autre de répliquer: «tu as vu dans quel état il est, il n’arrive même plus à marcher, il supplie déjà ». Le taximan de conclure: « il supplie quoi ? quand il te trouve quelque part et que tu supplies comme lui le fait là, est ce qu’il t’écoute ? Il a le sang aux yeux ». S’il survit il mettra un bon moment avant de prendre un bain.
Le fait de constater que c’est un anglophone m’a étonné car ici à Bamenda, les populations ont tellement foi en leur sainteté qu’ils disent que « les francophones sont des voleurs nous on ne connait pas ça ici ». C’est une réponse de mon boucher lorsque nous avions entamé une discussion sur les balances et les trucages des kilogrammes des bouchers. En voyant cette scène j’ai bien envie de lui demander: « est ce que ce voleur est alors un francophone ? ».
La population se rend justice elle-même et ce n’est pas nouveau. Étant petite déjà, on arrêtait ces voleurs dans le quartier où je résidais chaque semaine. Je me souviens même qu’un jour on avait surpris un et un homme âgé avant la bastonnade lui avait demandé « comment peux-tu voler des marmites alors que tu sais que cela fait du bruit ? » et la foule riait en chœur avant de le tatouer à sang.
Le vol est une malédiction. À l’évocation de ce sujet il me revient tellement de cas. Tenez par exemple ce voleur à la mosquée de Tsinga qui profitait de l’instant de prière pour voler les chaussures les plus chères. Aussi un autre qui, toujours posté en face d’une mosquée, profitait du fait que les fidèles posaient le front au sol pour voler leurs motos. Quand il a été appréhendé par la population et finalement tué, des riverains sont allés remettre la dépouille à ses parents qui visiblement vivaient de ses gains.
Quand on surprend un bandit à Yaoundé, son jugement commence sur place. Les pierres, les bouteilles, les planches, les lattes, les pillons etc tout est bon pour le frapper. À Douala ce sont les roues qui font le travail car on ligote le bandit et on le met au milieu de plusieurs roues sur lesquelles on a pris soin de verser du carburant et on l’immole. Toutes les prières des populations synchronisent pour qu’aucune force de police ne passe dans le coin et si oui, qu’elle arrive très tard. Et maintenant même si un policier arrive, une partie du groupe l’encercle et l’embrouille pendant que les autres continuent le travail.
Ceci est le résultat du manque de confiance qu’il existe entre les populations et la police. Désormais les populations considèrent ce corps comme corrompu. Il n’est pas rare de voir un bandit qui a été dénoncé et arrêté, sortir le lendemain et venir vous achever, vous menacer ou recommencer. D’ailleurs ils se vantent même déjà d’avoir des bonnes relations dans ce milieu. De nombreuses armes retrouvées sur les voleurs se sont avérées être celles des officiers qui sont les chefs de ces gangs. Alors chacun se fait justice car avec le stress que produit la pauvreté et le fossé qui est sans cesse croissant entre riches et pauvres, les populations veulent se défouler.
Un bandit n’est en fait pour eux qu’une occasion de se défouler du fait que leurs enfants dorment affamés, qu’ils paient trop d’impôts sans faire recette, qu’ils restent sous le soleil, qu’ils crient et que le gouvernement ne les entend pas. C’est en fait une façon de dire: « toi petit bandit, qui es-tu pour grossir et t’enrichir aussi facilement quand les autres s’époumonent pour une petite pitance ? Qui es-tu pour faire du mal aux autres et te faire défendre ? Je vais te montrer».
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