Une histoire de pagne et de femme
Et c’est reparti ! Il va encore falloir assister à toutes les tracasseries que nous cause la célébration de cette journée internationale de la Femme ce 8 mars au Cameroun. Tout d’abord, la marche à pied qui sera à la mode ce jour là quand on va nous barrer les routes, ensuite tous les services et administrations qui seront vides parce qu’elles iront défiler. Vu que la plupart sont des secrétaires, faudra pas compter trouver l’une d’elles si vous avez un dossier à déposer ou à retirer: il n’y aura personne.
Je me rappelle de ce 13 février où, ayant décidé de porter ce pagne un autre jour que le 8, je me suis rendue au marché avec mon Kaba. À mon passage devant un vendeur à la criée celui-ci me dit: « ma chérie, donc depuis le 8 mars là tu n’es pas arrivée à la maison pour te changer ? ». Et là vous imaginez la suite : bye bye le pagne du 8 mars, le divorce a été prononcé.
Déjà à la fin du mois de janvier de chaque année faut que la Cicam nous annonce que « les pagnes sont déjà disponibles dans toutes ces agences du pays ». C’est quand même bizarre que l’on ne donne jamais le prix. Et puis les semaines qui suivent ce message nous fait vivre un vrai calvaire.
Au marché, les bayam-sellam ne parlent que de cela. Chaque midi, elles se réunissent et par associations, collectent de l’argent pour envoyer une délégation acheter le pagne pour les autres. Elles arrêtent le modèle de leurs habits ensemble et aussi le programme de cette journée. Dans les maisons on serre les ceintures car certaines femmes préfèrent réduire la ration et même affamer les enfants jusqu’à ce qu’elles obtiennent l’argent nécessaire pour l’acquisition du pagne.
Chez certains couples hé bien les histoires de femmes qui tournent le dos au lit, ne parlent plus à leur mari ou mettent la colle sur leur partie génitale pour refuser l’accès à leur mari qu’elles estiment « chiche », est bien vrai, ne riez pas.
Mes sœurs sachez que si vous ne donnez pas le 8, vous le ferez le 9, le 10,je ne sais à quelle date mais vous céderez un jour donc ce genre de pression ne vaut pas la peine. Si vous tenez tant à avoir ce pagne, vous prouverez vraiment votre indépendance et votre participation à ces hommes en les achetant vous mêmes. j’ai fais un calcul et bien si le pagne coûte 10000 fcfa, il vous suffira d’économiser 50f pendant 200 jours pour pouvoir vous l’offrir (soit près de sept mois d’économie) et 100 jours si vous économisez 100f par jour.
Puis, arrive l’épisode de la pénurie des pagnes à quelques jours ou semaines de l’évènement et les enchères montent, le faux apparaît et les bousculades aussi devant les boutiques de tissus.
Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de dégâts que cause ce bout de tissu. Oui je pèse mes maux car je me demande si tant de simagrées sont nécessaires pour une seule journée ? Que dire quelques heures ? C’est à se demander si c’est le seul pagne de leur vie ou le premier ? Non. Ce pagne va-t-il changer quelque chose dans leur quotidien et même l’améliorer ? : Non. Un pagne pour une journée ou des heures qui détruit des familles, des couples au non de quoi je ne sais pas. Je comprendrais qu’une femme qui ne souffre pas et à un bon salaire puisse s’offrir ce genre de luxe, mais une femme qui se débrouille et à encore des problèmes de nutrition et de survie à quoi ce pagne va-t-elle lui servir ?
Je veux bien accepter ces raisons comme quoi c’est une journée qui lui permet de se retrouver avec les autres femmes, de penser à elle. Se retrouver pour quel résultat ? Parce que jusqu’à présent, je n’ai vu que le mauvais côté de la chose : des femmes qui laissent les enfants affamés soit disant parce qu’ « aujourd’hui, c’est l’homme qui prépare ». Des femmes qui ne veulent plus garder les habits sur elles à cause du « même si c’est propre, même si c’est sale soulevez ». Des femmes qui se disent trop enfermées, et qui ce jour-là frôlent l’extrême en buvant leur premier verre ou un verre de trop et rentrent chez elles avec des enfants adultérins ?
Tenez, prenez l’une d’entre elles qui a pris le soin d’arriver au Boulevard du 20 mai ce jour-là très tôt pour le défilé, et demandez-lui quel est le thème ? Elle l’ignore. Elle est là à cause de son association, pour voir la première dame ou encore juste pour échapper à son quotidien. Même celles qui prennent part aux différentes réflexions sur le sujet ne peuvent pas vous dire avec exactitude ce qui a été entrepris et qui améliorera notre quotidien de femmes. En outre, qu’est-ce que toutes ces activités organisées autour de cette journée pourront apporter pour faciliter le transport de ma grand-mère quand elle veut acheminer sa marchandise en ville ?Rien.
De nombreuses filles ne vont pas à l’école, certaines sont forcées de se marier trop jeunes sans leur consentement, des filles qu’on incise encore en cachette, des femmes qui sont mal reçues et négligées dans les hôpitaux, des filles dont on masse le ventre et repasse les seins chaque jour, des jeunes filles comme Vanessa Tchatchou dont les bébés sont volés et qui ne peuvent réclamer justice, des filles sont assassinées dans les quartiers de Yaoundé sans que personne ne lève le petit doigt. Si nous ne compatissons pas en tant que mères, faisons-le en tant que femmes. Ne sommes-nous sensibles à ce jour qu’à cause de la fête et des pagnes ? J’aimerais bien croire que non.
S’il est dit que ce pagne qui fait l’objet de tant d’attrait a été fabriqué pour marquer ce jour, il devrait être accessible à toutes les couches sociales donc la femme rurale aussi. Une histoire de gain oui ! Tel que je vois les choses ce n’est pas ça l’objectif car je ne pense pas qu’une femme rurale puisse débourser 10.000fcfa pour un pagne, ah oui car c’est le prix du pagne du 8 mars de ces deux dernières semaines.
Bon je m’arrête là, bref vous avez compris. Pensez-y.
Bonne fête du 8 mars à toutes !
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